Je vous présente Héléna Schjerfbeck: la femme aux 40 autoportraits !

C’était une peintre singulière et une féministe avant l’heure, cette Helena Schjerfbeck (1862 – 1946) qui s’est tant portraiturée. « Je suis contre l’idée d’une « Exposition de peintres femmes » disait –elle. A l’époque, ce genre de réflexion était plutôt mal vu. Elle expliquait : « A ma connaissance, il n’existe pas d’expositions seulement pour hommes ! Les œuvres d’art ne devraient-elles pas fournir leur propre justification ? »

Vous l’avez compris, malgré les obstacles qui se dressaient sur sa route, Helena n’a jamais fait de compromis. A 17 ans, elle peignait déjà des tableaux historiques, genre réservé jusque là uniquement aux hommes.

Un destin singulier et tragique…

Qui n’est pas sans rappeler celui de Frida Kahlo. Helena Schjerfbeck (un nom difficile à prononcer) est d’origine finlandaise. La tristesse qu’on lit dans ses yeux se rapporte sans doute à une vie particulièrement éprouvée. Autour d’elle, les gens qu’elle aime meurent les uns à la suite des autres. D’abord ses frères, ensuite ses sœurs, puis enfin son père alors qu’elle n’avait que 13 ans.

A l’âge de 4 ans, elle chute dans un escalier et se fracture la hanche gauche. Elle doit passer 6 longues années de convalescence à la maison. Elle gardera toute sa vie une forte claudication. Enfant surdouée de dessin et de peinture, elle profite de son immobilité contrainte pour peindre sans s’accorder un seul moment de répit.

« Inspiration ? Ce mot est trop fort pour moi. Je dis seulement : volonté de peindre… »

Elle ne s’amusera jamais comme les autres enfants. A 11 ans, elle entre aux Beaux-Arts d’Helsinki. Plus tard, grâce à un tableau intitulé « Soldat blessé dans la neige », elle obtient une bourse importante pour poursuivre sa formation artistique à travers le monde pendant plusieurs années. A Paris, elle fréquentera les rares ateliers libres ouverts aux femmes. Elle dira que cette période fut la plus heureuse de sa vie.

Mais décidément, Helena n’était pas faite pour le bonheur… En Cornouailles elle rencontre un peintre britannique dont elle s’éprend au point de vouloir l’épouser. La belle histoire tourne court quand la famille du peintre apprend les nombreux décès dus à la tuberculose qui ont jalonné sa vie familiale. Les fiançailles sont rompues et Helena retourne en Finlande.

Là, elle accepte d’enseigner le dessin et la peinture à la Société des Beaux Arts d’Helsinki. En parallèle, elle réalise des copies des œuvres de Franz Hals, de Velasquez, d’Holbein, etc… pour le compte de la société finlandaise des Beaux Arts. Elle continue toujours d’exposer ses propres œuvres qui sont souvent primés et achetés par des musées.

Elle interrompt fréquemment son enseignement pour se faire soigner dans un sanatorium de montagne en Norvège.

Un style d’une modernité surprenante

Ses premières peintures figuratives montrent les ouvrières de l’usine locale, des infirmières, des enfants, des vieilles dames occupées à coudre. Tout un univers de gens pauvres et besogneux. Ce qui dénote, car à l’époque on peint des gens … riches !

Mais la figuration laisse place peu à peu à un style épuré d’une intensité expressive. Son pinceau élimine tout détail anecdotique.

Un lent processus de dissolution…

Helena Schjerfbeck a une place à part dans l’histoire de la peinture avec la quarantaine d’autoportraits qu’elle a réalisés. Cette introspection pourrait se comparer à celle de Frida Kahlo. Elle crée comme elle, une œuvre en marge des mouvances artistiques.

Au tout début, elle se représente les joues rondes, le teint rose et une belle chevelure blonde. Peu à peu, elle évolue, mettant l’accent sur son regard avec des yeux exagérément agrandis.

Alors qu’elle est âgée de 52 ans, elle rencontre un jeune mécène de 33 ans Einar Reuter. Il lui achète un tableau « Le garçon aux bûches ». Malgré la différence d’âge, Helena se prend à espérer… Ils correspondent, échangent leurs opinions sur l’art, la littérature et l’actualité politique. C’est enfin une bouffée d’oxygène dans la monotonie de sa vie. Mais quand Einar Reuter se fiance avec une jeune fille de son âge, Helena éprouve un désespoir sans fond et s’enfuit de Finlande, loin de lui.

Au fil des années, on lit sur son visage ses souffrances et ses angoisses. Elle se représente sous des traits de plus en plus torturés.

« J’ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, la peau cassée. J’ai un visage détruit. »

Auto analyse du vieillissement

Elle scrute alors sans concession les progressions de la vieillesse, de la maladie et de la mort qui approche. Ses yeux s’écarquillent de plus en plus comme effrayés. Puis les orbites se creusent. L’évolution est saisissante.

Pour finir, en lieu et place d’un visage reconnaissable, ne figurent plus que 4 trous noirs pour les yeux, le nez, la bouche.

Le dernier tableau la représente pratiquement sous la forme d’un spectre effrayant. Il s’intitule : « autoportrait d’une vieille artiste peintre ».

A noter que cet être souffreteux meurt tout de même à l’âge avancé de 84 ans, le 23 janvier 1946 à l’hôtel thermal près de Stockholm où elle s’était définitivement installée.

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